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    Auguste Barbier

    L’Adieu

    Ah ! Quel que soit le deuil jeté sur cette terre
    Qui par deux fois du monde a changé le destin,
    Quels que soient ses malheurs et sa longue misère,
    On ne peut la quitter sans peine et sans chagrin.

    Ainsi, près de sortir du céleste jardin,
    Je me retourne encor sur les cimes hautaines,
    Pour contempler de là son horizon divin
    Et longtemps m’enivrer de ses grâces lointaines :
    Et puis le froid me prend et me glace les veines
    Et tout mon cœur soupire, oh ! Comme si j’avais,
    Aux champs de l’Italie et dans ses larges plaines,
    De mes jours effeuillé le rameau le plus frais,
    Et sur le sein vermeil de la brune déesse
    Épuisé pour toujours ma vie et ma jeunesse.

    Divine Juliette au cercueil étendue,
    Toi qui n’es qu’endormie et que l’on croit perdue,
    Italie, ô beauté ! Si malgré ta pâleur,
    Tes membres ont encor gardé de la chaleur ;
    Si du sang généreux coule encor dans ta veine ;
    Si le monstre qui semble avoir bu ton haleine,
    La mort, planant sur toi comme un heureux amant,
    Pour toujours ne t’a pas clouée au monument ;
    Si tu n’es pas enfin son entière conquête ;
    Alors quelque beau jour tu lèveras la tête,
    Et, privés bien longtemps du soleil, tes grands yeux
    S’ouvriront pour revoir le pur éclat des cieux :
    Puis ton corps ranimé par la chaude lumière,
    Se dressera tout droit sur la funèbre pierre.


    Alors, être plaintif, ne pouvant marcher seul,
    Et tout embarrassé des longs plis du linceul,
    Tu chercheras dans l’ombre une épaule adorée ;
    Et, les deux pieds sortis de la tombe sacrée,
    Tu voudras un soutien pour faire quelques pas.
    Alors à l’étranger, oh ! Ne tends point les bras :
    Car ce qui n’est pas toi, ni la Grèce ta mère,
    Ce qui ne parle point ton langage sur terre,
    Et ce qui ne vit pas sous ton ciel enchanteur,
    Bien souvent est barbare et frappé de laideur.
    L’étranger ne viendrait sur ta couche de lave,
    Que pour te garrotter comme une blanche esclave ;
    L’étranger corrompu, s’il te donnait la main,
    Avilirait ton front et flétrirait ton sein.
    Belle ressuscitée, ô princesse chérie,
    N’arrête tes yeux noirs qu’au sol de la patrie ;
    Dans tes fils réunis cherche ton Roméo,
    Noble et douce Italie, ô mère du vrai beau !




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