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    Gédéon Tallemant des Réaux

    Louis XIII

    Louis XIII fut marié encore enfant…

    Le Roi commença par son cocher Saint-Amour à témoigner de l’affection à quelqu’un. Ensuite il eut de la bonne volonté pour Haran, valet de chiens. Il voulut envoyer quelqu’un qui lui pût bien rapporter comment la princesse d’Espagne étoit faite. Il se servit pour cela du père de son cocher, comme si c’eût été pour aller voir des chevaux.

    Le feu Roi ne manquoit pas d’esprit ; mais, comme j’ai remarqué ailleurs, son esprit tournoit du côte de la médisance ; il avoit de la difficulté à parler, et, étant timide, cela faisoit qu’il agissoit encore moins par lui-même. Il étoit bien fait, dansoit assez bien en ballet, mais il ne faisoit jamais que des personnages ridicules. Il étoit bien à cheval, eût enduré la fatigue en un besoin, et mettoit bien une armée en bataille.

    Il étoit un peu cruel, comme sont la plupart des sournois et des gens qui n’ont guère de cœur, car le bon sire n’étoit pas vaillant, quoiqu’il voulût passer pour tel. Au siège de Montauban, il vit sans pitié plusieurs huguenots, de ceux que Beaufort avoit voulu jeter dans la ville, la plupart avec de grandes blessures, dans les fossés du château où il étoit logé. Ces fossés étoient secs ; on les mit là comme en lieu sûr, et il ne daigna jamais leur faire donner de l’eau. Les mouches mangeoient ces pauvres gens. Il s’est diverti longtemps à contrefaire les grimaces des mourants. Le comte de La Rocheguyon, étant à l’extrémité, le Roi lui envoya un gentilhomme pour savoir comment il se portoit : « Dites au Roi, dit le comte, que, dans peu, il en aura le divertissement. Vous n’avez guère à attendre, je commencerai bientôt mes grimaces. Je lui ai aidé bien des fois à contrefaire les autres, j’aurai mon tour à cette heure. »

    Quand M. le Grand (Cinq-Mars) fut condamné, il dit : « Je voudrois bien voir la grimace qu’il fait à cette heure sur cet échafaud. »

    Au voyage de Lyon, en une petite ville nommée Tournus, entre Châlons et Mâcon, un gardien des Cordeliers voulut faire accroire à la Reine-mère que le Roi en passant y avoit fait parler une muette en la touchant comme si elle eût eu les écrouelles. On lui montra la fille. Ce bon Père disoit l’avoir vu, et après lui toute la ville le disoit aussi. La Reine arrivée à Lyon, le Père Souffran fit faire une procession et chanter. La Reine prend ce bon religieux, et, ayant joint le Roi, elle lui dit qu’il devoit bien louer Dieu de la grâce qu’il lui avoit faite d’opérer par lui un si grand miracle. Le Roi dit qu’il ne savoit ce qu’on vouloit dire, et le Cordelier disoit : « Voyez la modestie de ce bon prince ! » Enfin le Roi déclara que c’étoit une fourberie et vouloit envoyer des gens de guerre pour punir ces imposteurs.

    Dès lors il aimoit déjà madame d’Hautefort, qui n’étoit encore que fille de la Reine. Les autres lui disoient : « Ma compagne, tu ne tiens rien ; le Roi est saint. »

    Ses amours étoient d’étranges amours. Il n’avoit rien d’un amoureux que la jalousie. Il entretenoit madame d’Hautefort de chevaux, de chiens, d’oiseaux et d’autres choses. Il la fit dame d’atours en survivance ; elle eut quelques dons. Mais il étoit jaloux d’Ecquevilly-Vassé ; et il fallut qu’on lui fît accroire qu’il étoit parent de la belle. Le Roi le voulut savoir de d’Hozier. D’Hozier avoit le mot, et dit tout ce qu’on voulut. Ce M. d’Ecquevilly étoit un fort galant homme ; il fit long-temps l’amour à la Reine avec des révérences, et c’est assez dire à une Reine. Le cardinal l’éloigna, parce que c’étoit un garçon qui ne craignoit rien : il avoit morgué le grand- maître, en cajolant madame de Chalais sous sa moustache. C’étoit un homme froid. Il avoit une galère, et après avoir fait des merveilles au combat qui se donna auprès de Gênes, à la naissance de M. le dauphin, où il fit des protestations contre le Pont-de-Courlay qui ne vouloit pas donner, il reçut un coup de mousquet dans le visage qui le défiguroit tout. Il ne voulut plus vivre, et ne souffrît pas qu’on le pansât.

    Madame de La Flotte, veuve d’un des MM. du Bellay, chargée d’affaires et d’enfants, s’offrit, quoique ce fût un emploi au-dessous d’elle, d’être gouvernante des filles de la Reine-mère, et elle l’obtint par importunité. Elle donna la fille de sa fille, dès l’âge de douze ans, à la Reine-mère : c’est madame d’Hautefort. Elle étoit belle. Le Roi en devint amoureux et la Reine jalouse, ce dont le Roi ne se soucioit pas autrement. Cette fille, songeant à se marier, ou voulant donner quelque inquiétude au Roi, souffrit quelques cajoleries. Huit jours il étoit bien avec elle ; huit autres jours il la haïssoit quasi. Quand la Reine-mère fut arrêtée à Compiègne, on fit madame de La Flotte dame d’atours en la place de madame du Fargis, et sa petite-fille est reçue en survivance.

    En je ne sais quel voyage, le Roi alla à un bal dans une petite ville ; une fille, nommée Catin Gau, à la fin du bal, monta sur un siège pour prendre, non un bout de bougie, mais un bout de chandelle de suif dans un chandelier de bois. Le Roi dit qu’elle fit cela de si bonne grâce qu’il en devint amoureux. En partant, il lui fit donner dix mille écus pour sa vertu.

    Le Roi s’éprit après de La Fayette. La Reine et Hautefort se liguèrent contre elle, et depuis cela furent bien ensemble. Le roi retourna à Hautefort. Le cardinal la fit chasser ; cela ne la désunit point d’avec la Reine. Un jour, madame d’Hautefort tenoit un billet. Il le voulut voir ; elle ne le voulut pas. Enfin, il fit effort pour l’avoir ; elle, qui le connossoit bien, se le mit dans le sein, et lui dit : « Si vous le voulez, vous le prendrez donc là ? » Savez-vous bien ce qu’il fit, il prit les pincettes de la cheminée, de peur de toucher à la gorge de cette belle fille.

    Le feu Roi commençoit à cajoler une fille en lui disant : « Point de mauvaises pensées. » Pour une femme mariée, il n’avoit garde. Une fois il avoit fait un air qui lui plaisoit fort, il envoya quérir Bois-Robert pour lui faire faire des paroles. Bois-Robert en fit sur l’amour que le Roi avoit pour Hautefort. Le Roi lui dit : « Ils vont bien, mais il faudroit ôter le mot de désirs, car je ne désire rien. »

    La Reine, à ce que dit le Journal du cardinal, s’étoit blessée pour avoir mis un emplâtre, avant que d’être grosse de Louis XIV. Le Roi couchoit fort rarement avec elle. On appeloit cela mettre le chevet, car la Reine n’en mettoit point pour l’ordinaire. Il dit, quand on vint lui annoncer que la Reine étoit grosse : « Il faut donc que ce soit d’un tel temps. » Pour une pauvre fois, il prenoit quelque rafraîchissement et on le saignoit souvent. Cela ne servoit pas à sa santé. J’oubliois que son premier médecin Hérouard a fait plusieurs volumes de tout ce que le roi a fait, qui commencent depuis l’heure de sa naissance jusqu’au siège de La Rochelle, où vous ne voyez rien sinon à quelle heure il se réveilla, déjeuna, cracha, pissa, chia, etc.1.

    Le soin qu’on avoit eu d’amuser le Roi à la chasse servit fort à le rendre sauvage. Mais cela ne l’occupa pas si fort qu’il n’eût tout le loisir de s’ennuyer. Il prenoit quelquefois quelqu’un, et lui disoit : « Mettons-nous à cette fenêtre, puis ennuyons-nous ; » et il se mettoit à rêver. On ne sauroit quasi compter tous les beaux métiers qu’il apprit, outre tous ceux qui concernent la chasse ; car il savoit faire des canons de cuir, des lacets, des filets, des arquebuses, de la monnoie, et M. d’Angoulême lui disoit plaisamment : « Sire, vous portez votre abolition avec vous. » Il étoit bon confiturier, bon jardinier ; il fit venir des pois verts, qu’il envoya vendre au marché. On dit que Montauron les acheta bien cher, car c’étoient les premiers venus. Montauron acheta aussi, pour faire sa cour, tout le vin de Ruel du cardinal de Richelieu, qui étoit ravi de dire : « J’ai vendu mon vin cent livres le muid. »

    Le Roi se mit à apprendre à larder. On voyoit venir l’écuyer Georges avec de belles lardoires et de grandes longes de veau. Et une fois, je ne sais qui vint dire que Sa Majesté lardoit. Voyez comme cela s’accorde bien, Majesté et larder !

    J’ai peur d’oublier quelqu’un de ses métiers. Il rasoit bien ; et un jour il coupa la barbe à tous ses officiers, et ne leur laissa qu’un petit toupet au menton.

    Il composoit en musique, et ne s’y connoissoit pas mal. Il mit un air à ce rondeau sur la mort du cardinal.

    Il a passé, il a plié bagage, etc.

    Miron, maître des comptes, l’avoit fait.

    Il peignoit un peu. Enfin, comme dit son épitaphe :

    Il eut cent vertus de valet
    Et pas une vertu de maître.

    
Son dernier métier fut de faire des châssis avec M. de Noyers. On lui a trouvé pourtant une vertu de roi, si la dissimulation en est une. La veille qu’on arrêta MM. de Vendôme, il leur fit mille caresses ; et le lendemain, comme il disoit à M. de Liancourt : « Eussiez- vous jamais cru cela ? — - Non, Sire, dit M. de Liancourt, car vous avez trop bien joué votre personnage. Il témoigna que cette réponse ne lui avoit pas été trop agréable ; cependant, il sembloit qu’il vouloit qu’on le louât d’avoir si bien dissimulé.

    Il fit une fois une chose que son frère n’eût pas faite. Plessis-Besançon lui alloit rendre de certains comptes ; et comme c’est un homme assez appliqué à ce qu’il fait, il étale ses registres sur la table du cabinet du Roi, après avoir mis, sans y penser, son chapeau sur sa tête. Le Roi ne lui dit rien. Quand il eut fait, il cherche son chapeau partout le Roi lui dit : « Il y a longtemps qu’il est sur votre tête. »

    On l’a reconnu avare en toutes choses. Mézerai lui présenta un volume de son Histoire de France. Le Roi trouva le visage de l’abbé Suger à sa fantaisie ; il en fit le crayon sans rien dire, bien loin de rien donner à l’auteur. Il raya après la mort du cardinal toutes les pensions des gens de lettres, en disant : « Nous n’avons plus affaire de cela. »

    Depuis la mort du cardinal, M. de Schomberg lui dit que Corneille vouloit lui dédier la tragédie de Polyeucte. Cela lui fit peur, parce que Montauron avoit donné deux cents pistoles à Corneille pour Cinna. Il n’est pas nécessaire, dit-il — Ah ! Sire. reprit M. de Schomberg, ce n’est point par intérêt. « Bien donc, dit-il, il me fera plaisir. » Ce fut à la Reine qu’on la dédia, car le Roi mourut entre deux.

    Une fois, à Saint-Germain, il voulut voir l’état de sa maison pour la bouche. Il retrancha un potage au lait à la générale Coquet, qui en mangeoit un tous les matins. Il est vrai qu’elle étoit assez truie sans cela.

    Il trouva sur le compte des biscuits que l’on avoit donnés à M. de La Vrillière. Dans ce même moment, M. de La Vrillière entra. Il lui dit brusquement : « À ce que je vois, La Vrillière, vous aimez fort les biscuits. » En revanche, il parut bien libéral quand, en lisant : Un pot de gelée pour un tel, qui étoit malade, il dit : « Je voudrois qu’il m’en eût coûté six, et qu’il ne fût pas mort. » Il retrancha trois paires de mules de sa garde-robe ; et M. le marquis de Rambouillet, qui en étoit grand-maître, lui ayant demandé ce qu’il vouloit qu’on fît de vingt pistoles qui étoient restées de ce qu’on avoit donné pour acheter des chevaux pour le chariot du lit, il lui dit : « Donnez-les à un tel, mousquetaire, à qui je les dois. Il faut commencer par payer ses dettes. » Il rabattit aux fauconniers du cabinet les bouts carrés qu’ils achetoient pour peu de chose des écuyers de cuisine et les leur fit donner pour leurs oiseaux sans récompenser les écuyers de cuisine.

    Il n’étoit pas humain. En Picardie, il vit des avoines toutes fauchées, quoiqu’elles fussent encore toutes vertes, et plusieurs paysans assemblés autour de ce dégât, mais qui au lieu de se plaindre de ses chevau-légers qui venoient de faire ce bel exploit, se prosternoient devant lui et le bénissoient : « Je suis bien fâché, leur dit-il, du dommage qu’on vous a fait là. — Cela n’est rien, Sire, lui dirent-ils, tout est à vous ; pourvu que vous vous portiez bien, c’est assez. » — « Voilà un bon peuple, » dit-il à ceux qui l’accompagnoient. Mais il ne leur fit rien donner, ni ne songea à les faire soulager des tailles.

    Je pense qu’une des plus grandes humanités qu’il ait eues en sa vie, ce fut en Lorraine. Le paysan chez qui il dînoit, dans un village où ils étoient bien à leur aise avant cette dernière guerre, fut tellement charmé d’un potage de perdrix aux choux qu’il le suivit jusque sur la table du Roi. Le Roi dit : « Voilà un beau potage. — C’est bien l’avis de votre hôte, Sire, dit le maître-d’hôtel, il n’a pas ôté les yeux de dessus. — Vraiment, dit le Roi, je veux qu’il le mange. » Il le fit recouvrir, et ordonna qu’on le lui servît.

    Le cardinal ayant chassé Hautefort, et La Fayette s’étant faite religieuse, le Roi dit qu’il vouloit aller au bois de Vincennes, et, en passant, fut cinq heures aux Filles de Sainte- Marie, où étoit La Fayette. En sortant, Nogent lui dit : « Sire, vous venez de voir la pauvre prisonnière ? — Je suis plus prisonnier qu’elle, » répondit le Roi.

    Au commencement, M. de Cinq-Mars faisoit faire débauche au Roi. On dansoit, on buvoit des santés. Mais comme c’étoit un jeune homme fougueux et qui aimoit ses plaisirs, il s’ennuya bientôt d’une vie qu’il n’avoit prise qu’à contre-cœur. D’ailleurs La Chesnaye, premier valet de chambre, qui étoit son espion, le mit mal avec le cardinal, car il lui disoit cent bagatelles du Roi que l’autre ne lui disoit point, et que le cardinal vouloit qu’on lui dît. Cinq-Mars, devenu grand-écuyer et comte de Dampmartin, fit chasser La Chesnaye, mais aussi la guerre fut déclarée par ce moyen entre le cardinal et lui.

    Nous avons dit comme le Roi l’aimoit éperdument. Fontrailles racontoit qu’étant entré une fois à Saint-Germain fort brusquement dans la chambre de M. le Grand, il le surprit comme il se faisoit frotter depuis les pieds jusqu’à la tête d’huile de jasmin, et, se mettant au lit, il lui dit d’une voix peu assurée : « Cela est plus propre. » Un moment après on heurte, c’est le Roi. Il y a apparence, comme dit le fils de feu L’Huillier, à qui on contoit cela, qu’il s’huiloit pour le combat. On m’a dit aussi qu’en je ne sais quel voyage le Roi se mit au lit dès sept heures. Il étoit fort négligé ; à peine avoit-il une coiffe à son bonnet. Deux grands chiens sautent aussitôt sur le lit, le gâtent tout, et se mettent à baiser Sa Majesté. Il envoya déshabiller M. Le Grand, qui revint paré comme une épousée : « Couche-toi, couche-toi, » lui dit-il d’impatience. Il se contenta de chasser les chiens sans faire refaire le lit, et ce mignon n’était pas encore dedans qu’il lui baisoit déjà les mains. Dans cette grande ardeur, comme il ne trouvoit pas que M. le Grand y correspondît trop, car il avoit le cœur ailleurs, il lui disoit : « Mais, mon cher ami, qu’as-tu ? que veux-tu ? tu es tout triste. De Niert, demande- lui ce qui le fâche ; dis- moi, as-tu jamais vu une telle faveur ? » Il le faisoit épier pour savoir s’il alloit en cachette quelque part.

    Il avoit toujours craint le diable, car il n’aimoit point Dieu, mais il avoit grand’peur de l’enfer. Il lui prit une vision, il y a vingt ans, de mettre son royaume sous la protection de la Vierge, et dans la déclaration qu’il en fit il y avoit : « Afin que tous nos bons sujets aillent en paradis, car tel est notre plaisir. » C’est ainsi que finissoit cette belle pièce. Dans sa dernière maladie, il étoit étrangement superstitieux. Un jour qu’on lui parloit de je ne sais quel béat qui avoit un don tout particulier pour découvrir les corps saints, et qui, en marchant, disoit : « Fouillez-là, il y a un corps saint, » sans y manquer une seule fois, Nogent dit, à sa manière de mauvais bouffon, comme dit le Journal du cardinal : « Si je le tenois, je le mènerois avec moi en Bourgogne, il me trouveroit bien des truffes » Le Roi se mit en colère, et lui cria : « Maraud, sortez d’ici. » Il mourut assez constamment, et disoit en regardant le clocher de Saint- Denis, qu’on voit du château- neuf de Saint-Germain, où il étoit malade : « Voilà où je serai bientôt. » Il dit à M. le Prince : « Mon cousin, j’ai songé que mon cousin, votre fils, étoit aux mains avec les ennemis, et qu’il avoit l’avantage. » C’est la bataille de Rocroy.

    Note

    1. Marais, son bouffon, disoit au Roi : « Il y a deux choses à votre métier dont je ne me pourrois accommoder. — Hé ! quoi ? — De manger tout seul et de ch… en compagnie.




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