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    Jean de La Fontaine

    L’Âne chargé d’éponges, et l’Âne chargé de sel

    Un Asnier, son Sceptre à la main,
    Menoit en Empereur Romain
    Deux Coursiers à longues oreilles.
    L’un d’éponges chargé marchoit comme un Courier ;
    Et l’autre se faisant prier
    Portoit, comme on dit, les bouteilles.
    Sa charge estoit de sel. Nos gaillards pelerins
    Par monts, par vaux, et par chemins,
    Au gué d’une riviere à la fin arriverent,
    Et fort empeschez se trouverent.
    L’Asnier qui tous les jours traversoit ce gué là,
    Sur l’Asne à l’éponge monta,
    Chassant devant luy l’autre beste,
    Qui voulant en faire à sa teste
    Dans un trou se precipita,
    Revint sur l’eau, puis échapa :
    Car au bout de quelques nâgées
    Tout son sel se fondit si bien,
    Que le Baudet ne sentit rien
    Sur ses épaules soulagées.
    Camarade Epongier prit exemple sur luy,
    Comme un Mouton qui va dessus la foy d’autruy.
    Voilà mon Asne à l’eau, jusqu’au col il se plonge
    Luy, le conducteur, et l’Eponge.
    Tous trois beurent d’autant ; l’Asnier et le Grison
    Firent à l’Eponge raison.
    Celle-cy devint si pesante,
    Et de tant d’eau s’emplit d’abord.
    Que l’Asne succombant ne pût gagner le bord.
    L’Asnier l’embrassoit dans l’attente
    D’une prompte et certaine mort.
    Quelqu’un vint au secours : qui ce fut, il n’importe ;
    C’est assez qu’on ait veu par là qu’il ne faut point
    Agir chacun de mesme sorte.
    J’en voulois venir à ce point.




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