Library / Literary Works

    Louis Salles

    La Javanaise

    Sur un îlot désert, planté de sycomores,
    Non loin des grands palais écroulés de Memphis,
    En remontant le Nil dans ma cange, je fis
    L’achat d’une Indienne à deux pirates maures.

    Oh ! l’adorable fille ! Aux tentes du désert
    Sa jeunesse avait pris, dans des lignes antiques,
    La sévère beauté des figures bibliques,
    Se penchant près le puits qu’ombrage un palmier vert.

    Dans des membres d’acier, aussi chaud que la lave,
    Le sang faisait cabrer sa sauvage fierté ;
    Sous un sourire amer drapant sa nudité,
    La grâce ennoblissait le pagne de l’esclave.

    Au soleil d’Orient son épaule ondoyait
    Sous les baisers de l’air, comme un bronze liquide ;
    De longs cheveux dorés sur sa gorge solide
    Roulaient ; ainsi qu’un jonc son torse se cambrait.

    Quand le couchant ombrait les lauriers de la grève,
    Et qu’ondulaient au loin les plaines de maïs,
    Fatma semblait ouïr les échos du pays,
    Et, se laissant porter sur les ailes d’un rêve,

    Elle suivait des yeux les ibis au long col,
    A l’horizon pourpré poursuivant leur voyage ;
    De ses belles forêts croyant voir un mirage,
    Son âme vers le ciel aussi prenait son vol.

    Alors, au son du fifre & du tambour de basque,
    En arabe chantant des hymnes inconnus,
    Une écharpe roulée autour de ses bras nus,
    Elle dansait parfois une danse fantasque.

    Aux ailes de son nez pendillaient trois sequins,
    Ses pieds d’enfant traînaient sur le sol ; nonchalantes,
    Ses poses s’endormaient ; des paillettes ardentes
    Flambaient dans le fond noir de ses yeux africains.

    Tout à coup, bondissante ainsi que la panthère,
    Montrant dans un souris la neige de ses dents,
    Elle faisait sonner les anneaux résonnants
    De ses pieds qui frappaient en cadence la terre.

    Après l’accès fiévreux, hélas ! ce jeune cœur
    Sur le sable altéré répandait bien des larmes ;
    L’ombre vague des nuits la berçait par ses charmes,
    Et peut-être évoquait un fantôme vainqueur.

    Sans avoir effleuré ses lèvres de grenade,
    Vierge je l’ai remise aux jungles de Java,
    En lui disant : Adieu, belle étrangère ! va
    Rêver à tes amours au pied de ta cascade.




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