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    Paul Verlaine

    Certes il fut traversé

    Certes il fut traversé traverseras-tu,
    Ce mien, dernier amour, mon arrière-vertu,
    Mon ultime raison, mon excuse suprême
    De vivre et d’être un homme et de rester moi-même,
    Traversé traverseras-tu dans que de sens,
    Combien de fois ! depuis les soirs presque innocents
    A force de candeur dans l’entier badinage
    Où se forma cette union, notre ménage
    Bizarre, intermittent, plein de lutte et de jeux,
    Jusqu’à cet aujourd’hui nuageux, orageux,
    Courageux après tout, vécu comme en campagne
    Avec tel quel air de malheur qui l’accompagne,
    Pour le saler et le poivrer conformément
    Aux besoins du moment en fait de condiment.
    Malentendus dès les premières fois, querelles
    Souvent, disputes très souvent, graves, car elles
    Avaient pour sanction, las ! des brutalités
    Pas toujours tiennes, nos pénates désertés
    A tour de rôle ou d’une fuite mutuelle,
    Pauvres pénates tôt rejoints! Apre, cruelle.
    Abominable vie, adorée, entre nous !


    Mais enfin il est temps pour nous comme pour tous
    D’asseoir et d’assurer sur quelque base forte.
    Pur dévouement ou simple habitude, n’importe !
    — L’habitude souvent confine au dévouement
    Et le dévouement n’est jamais qu’un dénouement. —
    Cette nôtre existence, en somme indispensable
    A nos tempéraments, comme aux genêts le sable.
    Ce statu quo peut-être un peu trop militant
    Mais qui nous plaît et qui nous sied, même, pourtant.
    Sauvage, oui, notre vie ? Hé ! rendons-la moins rude,
    Moi par le dévouement et toi par l’habitude.
    Soyons de vieux amants étant de vieux amis.
    Je me ferai de plus en plus souple et soumis
    Et le sujet plutôt que l’amant de la reine.
    Mais toi, tout en restant terrible, sois sereine !
    Ironique un petit, et, sûre de ton Paul,
    S’il faute, punis-le comme on fustige un fol
    De cour qu’il est coutume après tout de peu battre.
    Moi je vais me forcer, m’user, me mettre en quatre
    Pour obtenir, de mon côté, ce résultat
    D’au moins t’humaniser et te mettre en état
    De me montrer, du tien, quelque peu d’indulgence
    Compatible avec mon degré d’intelligence
    Sauf en un cas de trahison mienne perçu
    (Et ne prends la revanche un peu qu’à mon insu),
    Car, somme toute, à tout péché miséricorde.
    Bref des concessions réciproques : j’accorde
    De vivre ton féal corvéable et chétif ;
    Accorde de régner sans zèle intempestif.


    Tiens, quand tu n’es pas là, pour telle ou telle cause,
    Absence bien forcée et qui me fait morose
    A pleurer, au début, ainsi qu’un orphelin
    Voulant sa mère, et quel cœur gros, et quel œil plein !
    Par degrés, cependant presque insensibles,
    J’arrive à m’engourdir en chagrins plus paisibles,
    Plus plausibles aussi puisqu’y faire ne puis,
    Et peu à peu l’agitation de mes nuits,
    D’abord toute à ton corps qu’un rêve réalise,
    Se transfigure enfin, se comme subtilise.
    De comme virilise en ardente amitié.
    Mais en pure amitié, tendre encore à moitié
    Tout au plus, et l’amant devient le camarade,
    Nuance exquise quand la couleur se dégrade
    Du rouge de fournaise au blanc rose du jour.
    Eh bien ! sans abdiquer pour cela notre amour,
    — Les dieux nous gardent d’une telle ingratitude !
    Si nous nous imposions résolument l’étude
    D’appliquer la leçon dont je te parlais là,
    La leçon que l’alme nature me souffla
    Au moyen si persuasif, encor qu’austère,
    D’une façon de divorce sans adultère
    Et que console un sûr désir d’un prompt retour ?
    Si nous tâchions d’éviter bien ces chocs, et pour
    Cela, si nous tentions d’être un peu moins en ligne
    De bataille, et d’accord tacite sur l’insigne
    Question, qu’on réserve en tout tact bien discret,
    D’essayer de la franche amitié qu’on plierait,
    Parfois, quand il faudrait, au caprice de l’heure,
    Ou souvent... et, tapis dans l’heur et la demeure
    Qu’un loisir diligent nous aura préparés,
    Parfilons-y gaiement des jours considérés
    Par les yeux aussi bien bêtes du voisinage,
    Mais dont l’assentiment garantit et ménage
    La tranquillité due en somme aux gens de bien.
    Qu’en dis-tu ? N’est-ce pas ? nous, ce double vaurien,
    Ce vagabond des deux sexes, cette bohème
    Que nous sommes et cette espèce de poème
    Que nous vivons, non sans peut-être du talent,
    Nous, transformés en un couple chaste au vœu lent
    (Chaste et lent relativement, le vœu, le couple),
    Hein, ça t’agrée ? Et le sens-tu vaillante et souple
    Assez pour conspirer avec moi ce bonheur,
    Assez pour conquérir avec moi cet honneur!
    Hum ! Tu ne réponds pas, sinon d’une grimace
    Dédaigneuse plutôt, et que faut-il qu’on fasse ?
    Baste ! qu’il en retoune ainsi qu’il te plaira.
    Je t’obéis en tout, advienne que pourra.
    La mort est là d'ailleurs, conseillère émérite
    Qui nous dit de jouir, vite et beaucoup de suite,
    Et qu’un traître jupon prime un loyal linceul...
      Son avis est le Tien, pas, chérie ? C’est le seul !




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