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    Paul Verlaine

    Des morts

    Ô Cloître Saint-Merry funèbre ! sombres rues !
    Je ne foule jamais votre morne pavé
    Sans frissonner devant les affres apparues.

    Toujours ton mur en vain recrépit et lavé,
    Ô maison Transnonain, coin maudit, angle infâme,
    Saignera, monstrueux, dans mon coeur soulevé.

    Quelques-uns d’entre ceux de Juillet, que le blâme
    De leurs frères repus ne décourage point,
    Trouvent bon de montrer la candeur de leur âme.

    Alors dupes ? - Eh bien ! ils l’étaient à ce point
    De mourir pour leur oeuvre incomplète et trahie.
    Ils moururent contents, le drapeau rouge au poing.

    Mort grotesque d’ailleurs, car la tourbe ébahie
    Et pâle des bourgeois, leurs vainqueurs étonnés,
    Ne comprit rien du tout à leur cause haïe.

    C’était des jeunes gens francs qui riaient au nez
    De tout intrigant comme au nez de tout despote,
    Et de tout compromis désillusionnés.

    Ils ne redoutaient pas pour la France la botte
    Et l’éperon d’un Czar absolu, beaucoup plus
    Que la molette d’un monarque en redingote.

    Ils voulaient le devoir et le droit absolus,
    Ils voulaient « la cavale indomptée et rebelle »,
    Le soleil sans couchant, l’Océan sans reflux.

    La République, ils la voulaient terrible et belle,
    Rouge et non tricolore, et devenaient très froids
    Quant à la liberté constitutionnelle…

    Aussi, d’entre ceux de juillet, que le blâme
    Ils étaient peu nombreux, tout au plus deux ou trois
    Centaines d’écoliers, ayant maîtresse et mère,

    Ils savaient qu’ils allaient mourir pour leur chimère,
    Et n’avaient pas l’espoir de vaincre, c’est pourquoi
    Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ;

    Et c’est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi
    Calme ironiquement des martyres stériles,
    Quand ils tombèrent sous les balles et la loi.

    Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles,
    Vendirent cher leur vie et tinrent en échec
    Par deux fois les courroux des généraux habiles.

    Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec
    Quelle rage les bons bourgeois de la milice
    Tuèrent les blessés indomptés à l’oeil sec !

    Et dans le sang sacré des morts où le pied glisse,
    Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards
    Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice.

    — Jeunes morts, qui seriez aujourd’hui des vieillards,
    Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France,
    Jusqu’au deuil qui suivit vos humbles corbillards.

    Votre mort, en dépit des serments d’allégeance,
    Fut-elle pas pleurée, admirée et plus tard
    Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ?

    Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart,
    Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne,
    Ou vivent affamés et pauvres, à l’écart.

    Oh ! oui, nous envions la fin stoïcienne
    De ces calmes héros, et surtout jalousons
    Leurs yeux clos, à propos, en une époque ancienne.

    Car leurs yeux contemplant de lointains horizons
    Se fermèrent parmi des visions sublimes,
    Vierges de lâcheté comme de trahison,

    Et ne virent jamais, jamais, ce que nous vîmes.




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