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    Paul Verlaine

    J’ai dit ailleurs l’orgueil

    J’ai dit ailleurs l’orgueil de la possession
    Et le joyeux émoi d’occuper la Sion
    Pas céleste, mais presque, à force d’être bonne
    A garder après siège fait, de ta personne
    Physique, et le butin inépuisable. Mais,
    Tout en continuant de piller dru, je vais
    Exalter maintenant ta gloire intérieure,
    Tes vertus, en un mot, qui ne sont point un leurre
    (Ni tes vices non plus) tes efforts surhumains,
    Tes préjugés vaincus ? que non pas !
    Tes préjugés vaincus ? que non pas !— Tes mains

    Longues et blanches et négligeant d’être belles,
    Leurs poignets s’accommoderaient bien de dentelles
    Point trop fins qu’ils sont. (Mais les bras ! que modelés.
    Que...) Pourtant, avouons, les doigts vont, fuselés,
    Agiles, et non sans une grâce perverse
    Serait trop dire, ils vont, les doigts, qu’un rythme berce,
    Sur le mol clavier de mes contemplations,
    Tant et si bien que je craindrais que nous fissions
    Des bêtises, puisqu’on nomme ça des bêtises
    En ce jourd’hui que je veux tout en teintes grises,
    Bondé de convenance et soûl de chasteté.
    Or ces simples mains-là qui n’ont jamais ganté
    Que fourrures l’hiver et que mitaines vagues
    L’été, s’abstiennent de l’éclat bourgeois des bagues,
    De même que ton cou dédaigne les colliers
    Et que ton pied faisant fi des jolis souliers
    Qu’une câlin maigre use en courses libertines,
    Brave, se cambre au cuir martial des bottines.
    Et que le jersey pur et souple rampe au corps
    Que j’adore, et non plus tels falbalas discords.


    Mais quoi! j’ai dit : « négligeant d’être belles » d’elles.
    J’ai menti, Je parlais, je crois, de citadelles
    Conquises tout à l’heure et de combats livrés.
    J’allusionnai lors, et cela de très près,
    A la défense par ces mains de tel corsage.
    De telle jupe ayant trop voulu rester sage
    Et je leur en voulais et j’ai menti. Du moins
    Je me suis à dessein mal exprimé : Témoins
    Sont tes yeux que tes mains sont belles et très belles,
    Et les miens donc ! Et je les baise comme telles
    Cent et cent fois le jour et presque autant la nuit,
    Mais trop belles, non pas, car en tout l’excès nuit.
    Je voulais simplement dire qu’elles sont belles
    Juste au point et que je les baise comme telles
    Et non pas comme des châsses ou des bons dieux
    En bois ou de métal plus ou moins précieux,
    Mais bien comme les mains chères d’une maîtresse
    Tant aimée et donnant la suprême caresse
    Sur mon front essuyé, sur mes mains qu’elles font
    Littéralement leurs, d’un fluide profond
    Et calmant, d’une fièvre ainsi communiquée
    Qu’elle va jusqu’à l’âme on dirait fatiguée,
    Et l’endormant dans un rêve d’aise et d’ébat.

    Quant aux poignets, que j’insultai d’un propos plat.
    Toujours à cause des susdites résistances.
    Il convient, mon amour, qu’âprement tu me lances
    D’une erreur volontaire, et je confesse ici
    Qu’ils sont parfaits, mignons et gras, roses ainsi
    Qu’une rose-thé rose plus que de coutume,
    A preuve que tantôt encor dans l’amertume
    D’un remords pour des mots trop vifs que j’avais dits
    Et les ayant baisés, pour voir le paradis.
    Le pardon, refleurir sur ta bouche si bonne.
    Parmi le bleu lacis des veines où, gai, sonne
    Ton pouls tumultueux d’un courroux passager,
    (Espérais-je !) j’en ai gardé, pour y songer
    Longtemps, le souvenir de satin et de soie.

    O tes mains, les dispensatrices de ma joie !




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