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    Paul Verlaine

    Enfin c’est toi !

    Enfin c’est toi ! Laisse-moi rester dans tes bras ;
    Puis tu m’objurgueras tant que tu le voudras ;
    Mais laisse-moi pleurer dans ton giron, que sais-je ?
    Sur les pieds, vers tes yeux ou mon remords s’allège ;
    Mou remords véritable, ou ma honte plutôt,
    Ma honte véridique à n’en point perdre un mot,
    Et voici, non pas mon excuse... superflue !
    Voici les faits, et juge :

    Voici les faits, et juge :Or, un jour de berlue,
    J’avais, toi là, lorgné quelque minois passant.
    Tu m’en fis l’observation en te gaussant.
    C’est vrai, mais non sans quelque amertume latente,
    Du moins pensais-je ainsi, moi toujours dans l’attente
    De tous les sentiments qu’ils soient bons ou mauvais,
    Pour m’en désespérer ou m’en réjouir, mais
    Passons. Et me piquant au jeu, je jouai double,
    D’abord plein de scrupule, ô conscience trouble !
    Puis délibérément, sans pudeur, à ton nez
    (Adorable pourtant), et mes vœux étonnés
    Qui, dès longtemps n’avaient que toi pour but au monde
    S’égaillèrent bientôt de la brune à la blonde.
    Enfin vint le départ, la fuite, l’abandon
    De toi par moi, mes rencontres d’une Goton
    Par nuit, vingt nuits avec des femmes différentes.
    Et je m’habituais à ça comme des rentes
    Sans même me douter si c’était odieux,
    Tant mes sens m’étaient devenus comme des dieux.
    De ta saine présence exilés volontaires
    Et je les enivrai de ces vingt adultères
    Ainsi qu’un vil païen prodiguant son encens
    A des idoles, et son cœur avec ou sans.

    Le cœur, quelle catin alors qu’il se dérange !

    Dans ces femmes d’ailleurs je n’ai pas trouvé l’ange
    Qu’il eût fallu pour remplacer ce diable, toi !
    L’une, fille du Nord, native d’un Crotoy,
    Était rousse, mal grasse et de prestance molle :
    Elle ne m’adressa guère qu’une parole
    Et c’était d’un petit cadeau qu’il s’agissait.
    L’autre, pruneau d’Agen, sans cesse croassait.
    En revanche, dans son accent d’ail et de poivre,
    Une troisième, récemment chanteuse au Havre,
    Affectait le dandinement des matelots
    Et m’. ..engueulait comme un gabier tançant les flots,
    Mais portait beau vraiment, sacrédié, quel dommage
    La quatrième était sage comme une image,
    Châtain clair, peu de gorge et priait Dieu parfois :
    Le diantre soit de ses sacrés signes de croix !
    Les seize autres, autant du moins que ma mémoire
    Surnage eu ce vortex, contaient toutes l'histoire
    Connue, un amant chic, puis des vieux, puis « l’îlot »
    Tantôt bien, tantôt moins, le clair café falot
    Les terrasses l'été, l’hiver les brasseries
    Et par degrés l'humble trottoir en théories
    En attendant les bons messieurs compatissants
    Capables d’un louis et pas trop repoussants
    Quorum ego parva pars erim, me disais-je.
    Mais toutes, comme la première du cortège,
    Dès avant la bougie éteinte et le rideau
    Tiré, n’oubliaient pas le « mon petit cadeau ».

    Et voilà mon bilan de folles andalouses.
    Ça vexe-t-il par trop, dis, tes fureurs jalouses
    Ou si je suis plutôt à plaindre qu’à blâmer ?
    Mais voici que j’y pense — ô misère d’aimer !
    Moi qui parle tout franc et qui plaide coupable.
    Ne serais-tu pas, toi, de ton côté capable
    Non pas de ne pas pardonner (c’est si joli.
    Si gentil le pardon, — quand c’est fleuri d’oubli),
    Mais, te voyant ainsi méchamment esseulée.
    Hein, de t’être faite une veuve consolée ?
    Bonne guerre, après tout, et m’en taire siérait.

    O tout de même, si qu’on se pardonnerait ?




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