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    Saint-Pol-Roux

    La première femme

    A Victor Hugo


    Sourire enclos en des fleurs de rosier
    Je vis de par la magnifique haleine
    Et je triomphe, avec dans le gosier
    Le chant joli des ailes de la plaine.

    Dieu, je suis toi dans un creux de la main,
    Reflet resté de ta coquetterie
    En quelque pluie où d’un regard humain
    Se dut mirer ton unité fleurie.

    Nue, or je vais sous l’arc vif du soleil
    Qui me mûrit la joue à sa lumière
    Et chaque tournesol gire en éveil
    Car je suis belle d’être la première.

    Mais, ô Maître, pourquoi ce lâche écueil
    Que tu sculptas au cœur de ton chef-d’œuvre ?
    Sur mes instincts déjà grince l’orgueil
    Et mes désirs se lovent en couleuvre.

    A l’horizon rouillé du monde vieux
    Je m’apparais avec la face double :
    Ici j’offre le miel de mes grands yeux,
    Là j’épands le poison de mon sang trouble.

    Durant l’épais mystère du chaos
    Quel dessein noir le heurtait à la tempe,
    Et ce dessein, finalement éclos,
    N’est-ce pas lui cette chose qui rampe ?

    Fis-tu la femme afin de courroucer
    L’ami captif en son argile d’homme
    Puisque je sens les ongles me pousser
    Et mon œil bleu jaillir vers cette pomme ?

    Si c’est pour une telle royauté
    Que tu sortis Ève de ta paresse
    Et si tu veux méchante la Beauté,
    Que ne m’as-tu supprimé la caresse ?

    Alors du moins, franche bouche qui mord,
    J’aurais servi ta sombre loi de haine,
    Éparpillant la misère et la mort,
    Sans éprouver jamais la moindre peine

    Et, pitoyable esclave sans rachat,
    Femelle irresponsable de ton signe,
    Je n’eusse pas mérité le crachat
    Des enfants nés de ma rose maligne.


    1890.




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