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    Théophile de Viau

    Contre l’hiver

    Ode

    Plein de colère et de raison,
    Contre toi, barbare saison,
    Je prépare une rude guerre.
    Malgré les lois de l'univers,
    Qui de la glace des hivers
    Chassent les flammes du tonnerre,
    Aujourd'hui l'ire de mes vers
    Des foudres contre toi desserre.

    Je veux que la postérité,
    Au rapport de la vérité,
    Juge ton crime par ma haine.
    Les dieux qui savent mon malheur,
    Connaissent qu'il y va du leur,
    Et d'une passion humaine,
    Participant à ma douleur,
    Promettent d'alléger ma peine.

    La Parque, retranchant le cours
    De tes soleils bien que si courts,
    Rien que nuit sur toi ne dévide !
    Puisses-tu perdre tes habits !
    Et ce qu'au parc de nos brebis
    Peut souhaiter le loup avide
    T'arrive, et tous les maux d'Ibis,
    Comme le souhaitait Ovide !

    Cérès ne voit point sans fureur
    Les misères du laboureur
    Que ta froidure a fait résoudre
    À brûler même les forêts :
    Les champs ne sont que des marêts ;
    L'été n'espère plus de moudre
    Le revenu de ses guérets,
    Car il n'y trouvera que poudre.

    Tous nos arbres sont dépouillés,
    Nos promenoirs sont tous mouillés,
    L'émail de notre beau parterre
    À perdu ses vives couleurs,
    La gelée a tué les fleurs,
    L'air est malade d'un caterre,
    Et l'œil du ciel noyé de pleurs
    Ne sait plus regarder la terre.

    La nacelle, attendant le flux
    Des ondes qui ne courent plus,
    Oisive au port est retenue ;
    La tortue et les limaçons
    Jeûnent perclus sous les glaçons ;
    L'oiseau sur une branche nue
    Attend pour dire ses chansons
    Que la feuille soit revenue.

    Le héron quand il veut pêcher,
    Trouvant l'eau toute de rocher,
    Se paît du vent et de sa plume ;
    Il se cache dans les roseaux
    Et contemple, au bord des ruisseaux,
    La bise contre sa coutume
    Souffler la neige sur les eaux
    Où bouillait autrefois l'écume.

    Les poissons dorment assurés
    D'un mur de glace remparés,
    Francs de tous les dangers du monde
    Fors que de toi tant seulement,
    Qui restreins leur moite élément
    Jusqu'à la goutte plus profonde,
    Et les laisses sans mouvement,
    Enchassés en l'argent de l'onde.

    Tous les vents brisent leurs liens,
    Et dans les creux éoliens
    Rien n'est resté que le Zéphyre
    Qui tient les œillets et les lys
    Dans ses poumons ensevelis,
    Et triste en la prison soupire
    Pour les membres de sa Philis,
    Que la tempête lui déchire.

    Aujourd'hui mille matelots,
    Où ta fureur combats les flots,
    Défaillis d'art et de courage
    En l'aventure de tes eaux
    Ne rencontrent que des tombeaux ;
    Car tous les astres de l'orage,
    Irrités contre leurs vaisseaux,
    Les abandonnent au naufrage.

    Mais tous ces maux que je décris
    Ne me font point jeter de cris,
    Car eusses-tu porté l'abîme
    Jusques où nous levons les yeux,
    Et d'un débord prodigieux
    Trempé le ciel jusqu'à la cime,
    Au lieu de t'être injurieux,
    Hiver, je louerais ton crime.

    Hélas ! le gouffre des malheurs
    D'où je puise l'eau de mes pleurs,
    Prend bien d'ailleurs son origine :
    Mon désespoir dont tu te ris,
    C'est la douleur de ma Cloris,
    Qui rend toute la Cour chagrine ;
    Les dieux qui tous en son marris,
    Jurent ensemble ta ruine.

    Ce beau corps ne dispose plus
    De ses sens dont il est perclus
    Par la froideur qui les assiège :
    Épargne, hiver, tant de beauté ;
    Remets sa voix en liberté ;
    Fais que cette douleur s'allège ;
    Et pleurant de ta cruauté,
    Fais distiller toute la neige.

    Qu'elle ne touche de si près
    L'ombre noire de tes cyprès ;
    Car si tu menaçais sa tête,
    Le laurier que tu tiens si cher,
    Et que l'éclat n'ose toucher.
    Serait sujet à la tempête,
    Et les dieux lui feraient sécher
    La racine comme le faîte.

    Mais si ta crainte ou ta pitié
    Veut fléchir mon inimitié,
    Sois-lui plus doux que de coutume ;
    Ronge nos vignes de muscat
    Dont les Muses font tant de cas ;
    Mais, à la faveur de ma plume,
    Dans ses membres si délicats
    Ne ramène jamais le rhume.

    Promène tes aquilons
    Par la campagne des Gélons,
    Grêle dessus les monts de Thrace ;
    Mais si jamais tu réprimas
    La violence des frimas
    Et la pureté de ta glace
    Sur les plus tempérés climats,
    Le sien toujours ait cette grâce.

    Sa maison, comme le saint lieu
    Consacré pour le nom d'un dieu,
    Rien que pluie d'or ne possède ;
    Ta neige fonde sur son toit
    Un sacré nectar qui ne soit
    Ni brûlant, ni glacé, ni tiède,
    Mais tel que Jupiter le boit
    Dans la coupe de Ganymède

    Si tu m'accordes ce bonheur
    Par cet œil que j'ai fait seigneur
    D'une âme à l'aimer obstinée,
    Je jure que le Ciel lira
    Ton nom qu'on n'ensevelira
    Qu'au tombeau de la destinée,
    Et par moi ta louange ira
    Plus loin que la dernière année.




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