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    Théophile de Viau

    A feu Monsieur de Lozières

    Ode

    Mon Dieu que la franchise est rare !
    Qu’on trouve peu d’honnêtes gens !
    Que la Fortune et ses régents
    Sont pour moi d’une humeur avare !
    Lozières, personne que toi,
    Dans les troubles où je me vois,
    Ne me montre un œil favorable :
    Tout ne me fait qu’empêchement,
    Et l’ami le plus secourable
    Ne m’assiste que lâchement.

    Si j’étais un homme de fange,
    Ou d’un esprit injurieux,
    Qui ne portât jamais les yeux
    Sur le sujet d’une louange,
    Ou qu’on m’eût vu désobliger
    Ceux qui me veulent affliger,
    Je ne serais point pardonnable,
    J’approuverais mes ennemis,
    Et trouverais irraisonnable
    Le secours que tu m’as promis.

    Mais jamais encore l’envie
    D’écrire un pasquin ne me prit,
    Et tout le soin de mon esprit
    Ne tend qu’à l’aise de ma vie.
    J’aime bien mieux ne dire mot
    Du plus infâme et du plus sot,
    Et me sauver dans le silence,
    Que d’exposer mal à propos
    À l’effort d’une violence
    Ma renommée et mon repos.

    O destin, que tes lois sont dures !
    L’innocence ne sert de rien.
    Que le sort d’un homme de bien
    À de cruelles aventures !
    Ce grand Duc redouté de tous,
    Dont je ne souffre le courroux
    Pour aucun crime que je sache,
    Me menace d’un châtiment
    Contre qui l’âme la plus lâche
    Frémirait de ressentiment.

    Il est bien aisé de me nuire,
    Car je ne puis m’assujettir
    Au souci de me garantir
    Quoi qu’on fasse pour me détruire.
    Je sais bien qu’un astre puissant,
    À tous ses vœux obéissant,
    Force les plus fiers à lui plaire ;
    Et que c’est plus de dépiter
    ae menace de sa colère
    Que la foudre de Jupiter.

    Mais que la flamme du tonnerre
    Vienne éclater à mon trépas,
    Et le Ciel fasse sous mes pas
    Crever la masse de la terre !
    Mon esprit sans étonnement
    S’apprête à son dernier moment.
    Plus je sens approcher le terme,
    Plus je désire aller au port,
    Et toujours d’un visage ferme
    Je regarde venir la mort.

    Ainsi, quoique ce fier courage
    Menace mon faible destin,
    Sans être poltron ni mutin
    Je verrai fondre cet orage
    Et conjurer ton amitié
    De n’avoir ni soin ni pitié
    Quelque malheur qui m’importune.
    Dieu nous blesse et nous sait guérir :
    Et les hommes, ni la Fortune,
    Ne nous font vivre, ni mourir.




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