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    Théophile de Viau

    A Monsieur le Duc de Luynes

    Ode

    Écrivains toujours empêchés
    Après des matières indignes,
    Coupables d'autant de péchés
    Que vous avez noirci de lignes,
    Je m'en vais vous apprendre ici,
    Quel dût être votre souci,
    Et dessus les justes ruines
    De vos ouvrages criminels,
    Avecque des vers éternels,
    Peindre l'image de Luynes.

    Je confesse qu'en me taisant
    D'une si glorieuse vie,
    Je m'étais rendu complaisant
    Aux injustices de l'envie,
    Et méritais bien que le Roi,
    Ensuite du premier effroi
    Dont me fit pâlir sa menace,
    M'eût fait sentir les cruautés
    Qu'on ordonne aux déloyautés
    Qui n'ont point mérité de grâce.

    A qui plus justement qu'à lui
    Se doivent nos saintes louanges
    Quel des humains voit aujourd'hui
    Sa vertu si proche des anges
    Ceux que le Ciel d'un juste choix
    Fait entrer dans l'âme des rois,
    Ils ne sont plus ce que nous sommes,
    Et semblent tenir un milieu
    Entre la qualité de Dieu
    Et la condition des hommes.

    Un chacun les doit estimer
    Ainsi qu'un ange tutélaire,
    La vertu c'est de les aimer,
    L'innocence est de leur complaire,
    Les mouvements de la bonté
    C'est proprement leur volonté.
    Les suivre c'est fuir le vice,
    Bien vivre c'est les imiter,
    Et ce qu'on nomme mériter
    C'est de mourir pour leur service.

    Grand Duc que toutes les vertus
    Recommandent à notre estime,
    Et que les vices abattus
    Tiennent pour vainqueur légitime,
    Bénis soient partout l'univers
    Les doctes et les sages vers
    Où ta gloire sera semée,
    Et jamais ne soient innocents
    Ceux qui refuseront l'encens
    Aux autels de ta renommée !

    Un nombre d'esprits furieux
    De ta prospérité s'irrite
    Et fait des querelles aux cieux
    Pour avoir payé ton mérite.
    Apaisez vous, faibles mutins,
    En dépit de vous les destins
    Lui seront à jamais propices.
    Puisque mon Prince en prend le soin,
    Sachez que sa fortune est loin
    Du naufrage et des précipices.

    Si son nom était sans appas,
    Si sa valeur était sans marques,
    Et que sa vertu ne fût pas
    Nécessaire auprès des monarques,
    On pourrait, avec moins de tort
    Blâmer son favorable sort ;
    Mais toutes nos ingratitudes
    S'accorderont à confesser
    Que sa prudence a fait cesser
    La honte de nos servitudes.

    Quand le Ciel parmi nos dangers
    Avait horreur de nos prières,
    Que les yeux des plus étrangers
    Donnaient des pleurs à nos misères,
    Quand nos maux allaient jusqu'au bout,
    Que l'état branlant de partout
    Etait prêt à changer de maître,
    Il fit mourir notre douleur,
    Et perdre espérance au malheur
    De la faire jamais renaître.

    Ce grand jour où tant de plaisirs
    Succédèrent à tant de peines,
    Qui fit changer tant de désirs,
    Et qui rapaisa tant de haines,
    Tous nos cœurs sans fard et sans miel
    Inclinant où l'amour du Ciel
    Poussait vos volontés unies,
    Ravis de ce commun bonheur,
    Firent des vœux à son honneur
    Pour nos calamités finies.

    Ceux qui mieux ont senti l'effet
    D'une si louable victoire,
    Honteux du bien qu'il leur a fait,
    Ont du mal à souffrir sa gloire :
    Ils arrachent à leurs esprits
    Le ressentiment du mépris
    Dont la grandeur était foulée
    Quand leur faiblesse avec raison
    Souhaitait l'heureuse saison
    Que ce grand Duc a rappelée.

    Le remords vous doit bien punir,
    Votre âme est bien peu libérale
    De lui nier le souvenir
    D'une grâce si générale.
    Que vos fureurs changent d'objet !
    Aussi bien, cherchant le sujet
    De la haine qui vous anime,
    Vous ne trouverez point de quoi,
    Sinon que la faveur du Roi
    Tienne lieu de honte et de crime.

    Ceux qui veillent à rechercher
    Quelque juste sujet de blâme,
    Ne peuvent point lui reprocher
    Un défaut du corps ni de l'âme.
    Pour moi, lorsque je pense à lui,
    Cette envie qui pousse autrui,
    De mes sens bien loin se retire ;
    Tous mes vers vont au compliment,
    Et ne saurais trouver comment
    Il se fait prendre à la satire.

    S'il est coupable, c'est d'avoir
    Trop de justice et de vaillance,
    D'aimer son Prince, et recevoir
    Les effets de sa bienveillance.
    Grand Duc, laisse courir le bruit,
    Et goûte doucement le fruit
    Que la bonne fortune apporte.
    Tous ceux qui sont tes ennemis
    Voudraient bien qu'il leur fût permis
    D'être criminels de la sorte.

    Jamais à leurs funestes vœux
    Un Dieu propice ne réponde ;
    Jamais sinon ce que tu veux
    Ne puisse réussir au monde ;
    Que toujours de meilleurs succès
    Te donnent de nouveaux accès
    A des félicités plus grandes ;
    Et qu'enfin les plus enragés,
    A ta dévotion rangés,
    Te viennent payer d'offrandes.




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