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    Théophile de Viau

    A Monsieur le Marquis de Buckingham

    Ode

    Vous pour qui les rayons du jour
    Sont amoureux de cet empire
    Que Mars redoute et que l'Amour
    Ne saurait voir qu'il ne soupire ;
    C'est bien avecque du sujet
    Qu'un grand Roi vous a fait l'objet
    D'une affection infinie
    Et que toutes les nations
    Ont permis que votre génie
    Forçât leurs inclinations.

    Les faveurs que vous méritez
    Ont obligé même l'envie
    D'accroître vos prospérités
    En disant bien de votre vie.
    Lorsqu'elle veut parler de vous
    Sans artifice et sans courroux ;
    Elle se produit toute nue ;
    Et, ses vains désirs abattus,
    Fait gloire d'être reconnue
    Pour triomphe de vos vertus.

    Personne n'est fâché du bien
    Dont votre sort heureux abonde ;
    D'autant qu'il ne vous sert de rien
    Qu'à faire du plaisir au monde.
    Ainsi le céleste flambeau ;
    Qui fut l'ornement le plus beau
    Qu'enfanta la masse première ;
    N'a jamais eu des envieux;
    Car il n'use de sa lumière
    Que pour en éclairer nos yeux.

    Chaque saison donne ses fruits :
    L'automne nous donne ses pommes,
    L'hiver donne ses longues nuits
    Pour un plus grand repos des hommes ;
    Le printemps nous donne des fleurs,
    Il donne l'âme et les couleurs
    A la feuille qui semble morte,
    Il donne la vie aux forêts,
    Et l'autre saison nous apporte
    Ce qui fait jaunir nos guérets.

    La terre pour donner ses biens
    Se laisse fouiller jusqu'au centre ;
    Et pour nous les champs Indiens
    Se tirent les trésors du ventre.
    L'onde enrichit de cent façons
    Nos vaisseaux et nos hameçons ;
    Et cet élément si barbare,
    Pour se faire voir libéral,
    Arrache de son sein avare
    L'ambre, la perle et le coral.

    Ce qu'on dit de ce grand trésor
    Découlant de la voix d'Alcide,
    C'étaient vraiment des chaînes d'or
    Qui tenaient les esprits en bride.
    Connaissant ces divins appas,
    Alexandre donnait-il pas
    Tout son gain de paix et de guerre ?
    Ce prince, avec tout son bonheur
    S'il n'eût donné toute la terre
    Ne s'en fût jamais fait seigneur.

    Les zéphyrs se donnent aux flots,
    Les flots se donnent à la Lune,
    Les navires aux matelots,
    Les matelots à la Fortune.
    Tout ce que l'univers conçoit
    Nous apporte ce qu'il reçoit
    Pour rendre notre vie aisée.
    L'abeille ne prend point du ciel
    Les doux présents de la rosée
    Que pour nous en donner le miel.

    Les rochers qui sont le tableau
    Des stérilités de nature,
    Afin de nous donner de l'eau
    Fendent-ils pas leur masse dure ?
    Et les champs les plus impuissants
    Nous donnent l'ivoire et l'encens;
    Les déserts les plus inutiles
    Donnent de grands titres aux rois ;
    Et les arbres les moins fertiles
    Nous donnent de l'ombre et du bois.

    Marquis, tout donne comme vous.
    Vous donnez comme celui même
    Dont les animaux sentent tous
    La libéralité suprême.
    Dieu nous donne par son amour,
    Avec les présents du jour,
    Les traits mêmes de son visage.
    Ce monde, ouvrage de ses mains,
    N'est point bâti pour son usage,
    Car il l'a fait pour les humains.

    Que le Ciel reçoit de plaisir
    Alors qu'il voit sa créature
    Vivre dans un si beau désir
    Et si conforme à la nature !
    Je voudrais bien vous imiter,
    Mais ne pouvant vous présenter
    Ce que la Fortune me cache,
    Puisque tout donne en l'univers,
    Je veux que tout le monde sache
    Que je vous ai donné des vers.




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