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    Félix Arvers

    L’Anniversaire

    Que dis-je ? malgré moi, malgré mes vains sermens,
    Ai-je su maîtriser de vagues mouvemens ?
    Ai-je su résister à ce charme qu’inspire
    D’un souris enchanteur l’irrésistible empire,
    Et l’éclat d’un regard ne m’a-t-il pas rendu
    Un espoir de bonheur que je croyais perdu ?
    Oui : mais lorsque bientôt de ce songe éphémère
    Une affreuse clarté dissipait la chimère,
    Quand d’un génie étroit les efforts impuissans
    N’arrachaient à mon luth que de faibles accens,
    Quand ma vue à l’erreur une fois arrachée
    Retrouvait sur mes pas la misère attachée,
    Quand mon amour déçu livrait à des mépris
    De stériles soupirs qui n’étaient point compris,
    Alors, et succombant au poids de la souffrance,
    Mon âme détrompée et morte à l’espérance,
    Ramenée aussitôt vers un doux souvenir,
    Demandait au passé l’oubli de l’avenir :
    Alors pour un moment son image exilée,
    A l’heure du réveil aussitôt rappelée,
    Revenait près de moi durant les mauvais jours,
    Comme ces vieux amis qu’on retrouve toujours !

    Oh ! qui me donnera d’aller dans vos prairies
    Promener chaque jour mes tristes rêveries,
    Rivages fortunés où parmi les roseaux
    L’Yonne tortueuse égare au loin ses eaux !
    Oui, je veux vous revoir, poétiques ombrages,
    Bords heureux, à jamais ignorés des orages,
    Peupliers si connus, et vous restes touchans
    Qui m’avez inspiré jadis mes premiers chants,
    — Avant que ces beaux lieux, si pleins de son absence,
    D’un autre possesseur n’aient connu la puissance.
    Hélas, qui me dira si ce maître nouveau
    N’y viendra point porter l’inflexible niveau,
    Si de ces bois touffus les ombres protectrices
    Ne doivent pas un jour éprouver ses caprices,
    Et s’il ne viendra pas proscrire en peu d’instans
    Ces éloquens débris qu’eût épargné le temps !
    Car il ne saura pas qu’à ces fleurs dispersées
    Notre amour attachait de pieuses pensées,
    Et qu’aux moindres objets venait partout s’unir
    Le charme douloureux d’un triste souvenir.
    Comme alors, si jamais le destin plus facile
    Prêtait à ma prière une oreille docile,
    Si sa main à mes yeux daignait un jour montrer
    Ces brillantes faveurs que je n’ose espérer,
    J’irais, j’arrêterais les haches déjà prêtes
    A promener la mort au sein de ces retraites,
    Je prîrais pour ces murs, et me croirais heureux
    De pouvoir, à prix d’or, intercéder pour eux ;
    Riche, et maître à mon tour de ce vaste domaine,
    Je saurais dérober à la faulx inhumaine
    Ces bosquets, ces taillis, qui resteraient du moins
    Des beaux jours envolés silencieux témoins !
    D’un maître sans pitié ces paisibles ombrages
    N’auraient plus désormais à craindre les outrages ;
    Et nous, qui la pleurons, dans ce triste séjour
    Nous irions tous les ans solenniser ce jour,
    Nous irions demander à ce lieu solitaire
    S’il est vrai que la mort nous cache un grand mystère,
    Et si dans le tombeau ceux qui sont endormis
    N’entendent pas encor la voix de leurs amis !


    6 Septembre 1828.




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