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    Marc-Antoine Girard de Saint-Amant

    Le Melon

    Quelle odeur sens-je en cette chambre ?
    Quel doux parfum de musc et d’ambre
    Me vient le cerveau resjouir
    Et tout le cœur espanouir ?
    Ha ! bon Dieu ! j’en tombe en extase :
    Ces belles fleurs qui dans ce vase
    Parent le haut de ce buffet
    Feroient-elle bien cet effet ?
    A-t-on bruslé de la pastille ?
    N’est-ce point ce vin qui pétille
    Dans le cristal, que l’art humain
    A fait pour couronner la main,
    Et d’où sort, quand on en veut boire.
    Un air de framboise à la gloire
    Du bon terroir qui l’a porté
    Pour nostre eternelle santé ?
    Non, ce n’est rien d’entre ces choses,
    Mon penser, que tu me proposes.
    Qu’est-ce donc ! Je l’ay descouvert
    Dans ce panier rempli de vert :
    C’est un melon, où la nature,
    Par une admirable structure,
    A voulu graver à l’entour
    Mille plaisans chiffres d’amour,
    Pour claire marque à tout le monde
    Que d’une amitié sans seconde
    Elle cherit ce doux manger,
    Et que, d’un soucy mesnager,
    Travaillant aux biens de la terre.
    Dans ce beau fruit seul elle enserre
    Toutes les aymables vertus
    Dont les autres sont revestus.
    Baillez-le-moy, je vous en prie,
    Que j’en commette idolâtrie :
    Ô ! quelle odeur ! qu’il est pesant !
    Et qu’il me charme en le baisant !
    Page, un cousteau, que je l’entame ;
    Mais qu’auparavant on réclame,
    Par des soins au devoir instruits,
    Pomone, qui préside aux fruits,
    Afin qu’au goust il se rencontre
    Aussi bon qu’il a belle montre,
    Et qu’on ne treuve point en luy ;
    Le défaut des gens d’aujourd’huy.
    Nostre prière est exaucée,
    Elle a reconnu ma pensée :
    C’en est fait, le voilà coupé,
    Et mon espoir n’est point trompé.
    Ô dieux ! que l’esclat qu’il me lance,
    M’en confirme bien l’excellance !
    Qui vit jamais un si beau teint !
    D’un jaune sanguin il se peint ;
    Il est massif jusques au centre,
    Il a peu de grains dans le ventre.
    Et ce peu-là, je pense encor
    Que ce soient autant de grains d’or ;
    Il est sec, son escorce est mince ;
    Bref, c’est un vray manger de prince ;
    Mais, bien que je ne le sois pas.
    J’en feray pourtant un repas.
    Ha ! soustenez-moy, je me pâme
    Ce morceau me chatouille l’ame ;
    Il rend une douce liqueur
    Qui me va confire le cœur ;
    Mon appetit se rassasie
    De pure et nouvelle ambroisie,
    Et mes sens, par le goust seduits.
    Au nombre d’un sont tous réduits.
    Non, le cocos, fruit délectable,
    Qui luy tout seul fournit la table
    De tous les mets que le désir
    Puisse imaginer et choisir,
    Ny les baisers d’une maistresse,
    Quand elle-mesme nous caresse,
    Ny ce qu’on tire des roseaux
    Que Crète nourrit dans ses eaux,
    Ny le cher abricot, que j’ayme,
    Ny la fraise avecque la crème,
    Ny la manne qui vient du ciel
    Ny le pur aliment du miel,
    Ny la poire de Tours sacrée,
    Ny la verte figue sucrée,
    Ny la prune au jus délicat,
    Ny mesme le raisin muscat
    (Parole pour moy bien estrange),
    Ne sont qu’amertume et que fange
    Au prix de ce melon divin,
    Honneur du climat angevin.
    Que dis-je, d’Anjou ? je m’abuse :
    C’est un fruit du crû de ma muse,
    Un fruit en Parnasse eslevé,
    De l’eau d’Hyppocrene abreuvé,
    Mont qui, pour les dieux seuls, rapporte
    D’excellens fruits de cette sorte,
    Pour estre proche du soleil,
    D’où leur vient ce goust nompareil :
    Car il ne seroit pas croyable
    Qu’un lieu commun, quoy qu’agréable,
    Eust pu produire ainsi pour nous
    Rien de si bon ni de si dous.
    Ô vive source de lumiere !
    Toy dont la route coustumiere
    Illumine tout l’univers ;
    Phœbus, dieu des fruits et des vers,
    Qui tout vois et qui tout embrasses,
    Icy je te rends humbles grâces
    D’un cœur d’ingratitude exent,
    De nous avoir fait ce present ;
    Et veux, pour quelque recompense,
    Dire en ce lieu ce que je pense
    Et de ce melon et de toy,
    Suivant les signes que j’en voy.
    Mais que tandis, ô chère troupe,
    Chacun laisse en repos la coupe,
    Car ce que je vous vay chanter
    Vaut bien qu’on daigne l’escouter :
    Après que Jupiter, avecque son tonnerre,
    Eut fait la petarrade aux enfans de la terre,
    Et que les dieux, lassez, revindrent du combat
    Où Pan perdit ses gands, Apollon son rabat,
    Mars l’un de ses souliers, Pallas une manchette,
    Hercule, par un trou, l’argent de sa pochette,
    Mercure une jartiere et Bacchus son cordon,
    Pour s’estre, dans les coups, jettez à l’abandon ;
    Après, dis-je, ce chocq, où l’asne de Silène,
    Aux plus mauvais garçons fit enfin perdre haleine.
    Par l’extrême frayeur que sa voix leur donna,
    De quoy le ciel fremit et l’enfer bourdonna ;
    On dit qu’il fut conclu qu’en signe de victoire
    Tout le reste du jour se passeroit à boire,
    Et que chacun d’entr’eux, fournissant au banquet,
    Apporterait son mets troussé comme un pacquet.
    Soudain, de tous costez sur l’Olympe se virent
    Plats deçà, plats delà, que les Nymphes servirent,
    Le bras nud jusqu’au coude et le sein descouvert,
    Orné de quelque fleur avec un peu de vert.
    Ce dieu qui des premiers autorisa l’inceste,
    Devant qui les plus grands de la troupe celeste,
    Plus petits que cirons, de peur de le fascher
    N’oseroient seulement ny tousser ny cracher ;
    L’audacieux Jupin, pour commencer la dance,
    Et presenter à l’œil dequoy garnir la pance,
    Fit apporter pour soy, dans un bassin de pris,
    Quantité de gibbier que son aigle avoit pris.
    La superbe Junon, qui dans une charrette
    Que des pans font rouler, fait souvent sa retrette
    En l’empire incertain des animaux volans,
    Prit de la main d’Iris un bouquet d’ortolans
    Qui fleurissoit de graisse, et convioit la bouche
    À luy donner des dents une prompte escarmouche,
    Durant qu’il estoit chaud, et qu’il s’en exhaloit
    Un gracieux parfum que le nez avaloit.
    Le compere Denis, à la trogne vermeille,
    Qui veut tousjours chiffler, mesme quand il sommeille,
    Rendant de son pouvoir Ganimede esbahy,
    Voulut que le nectar fist place au vin d’Ay,
    Dont il fit apporter par ses folles Menades,
    Qui faisoient en hurlant mille pantalonnades,
    Cinquante gros flaccons remplis jusques aux bords,
    Pour le plaisir de l’âme, et pour le bien du corps.
    La déesse des fours, des moulins et des plaines.
    Où l’œil du bon Pitaut voit l’espoir de ses peines ;
    Celle qui, s’esclairant de deux flambeaux de pin,
    À force de trotter usa maint escarpin
    En cherchant nuit et jour la domzelle ravie,
    Cerés au crin doré, le soustien de la vie,
    Munit les assistans, au lieu de pain-mollet.
    De biscuits à l’eau-rose, et de gasteaux au laict.
    Celuy qui sur la mer impétueuse et fiere,
    En son humide main porte une fourche fiere,
    Dont il rosse les flots quand ils font les mutains,
    Excitez par les vents, qui sont leurs vrais lutins,
    Fit servir devant luy, par la fille de chambre
    De madame Thetis, un plat d’huistres à l’ambre,
    Que l’un de ses Tritons, non pas sans en gouster,
    Du fond de l’Océan luy venoit d’apporter.
    Celle qui sur un mont sa chasteté diffame,
    La princesse des flots, qui comme sage-femme
    Assiste à ce travail où l’on pisse des os,
    Et dont elle délivre en disant certains mots ;
    Diane, au front cornu, de qui l’humeur sauvage
    Ne se plaist qu’aux forests à faire du ravage,
    Fit mettre sur la table un fan de daim rosty,
    Que d’une sauce à l’ail on avoit assorty.
    Le forgeur écloppé qui fait son domicile
    Parmy les pets-flambants que lasche la Sicile,
    Ce beau fils qui se farde avecque du charbon,
    Fit porter par Sterope un monstrueux jambon
    Et six langues de bœuf qui, depuis mainte année
    En grand pontificat ornoient sa cheminée,
    Où tout expressément ce patron des cocus
    Les avoit fait fumer pour donner à Baccus.
    La garce qui nasquit de l’excrément de l’onde
    Pour courir l’esguillette en tous les lieux du monde,
    Venus, la bonne cagne aux paillards appétits,
    Sçachant que ses pigeons avoient eu des petits,
    En fit faire un pasté, que la grosse Eufrosine,
    Qui se connois des mieux à ruer en cuisine,
    Elle-mesme apporta plein de culs d’artichaud,
    Et de tout ce qui rend celuy de l’homme chaud.
    Le boucq qui contraignit la nymphe des quenouilles
    De se précipiter dans les bras des grenouilles
    Pour sauver son honneur qu’il vouloit escroquer,
    En l’ardeur dont Amour l’estoit venu picquer.
    Pan, le roy des flusteurs, de qui dans l’Arcadie
    Les troupeaux de brebis suivent la mélodie,
    Honora le festin d’un agneau bien lardé,
    Que des pattes du loup son chien avoit gardé.
    Et, bien que l’on eust creu qu’en cet acte rebelle,
    La vieille au cul crotté, la terrestre Cybelle,
    Des orgueilleux geans eust tenu le party,
    Auquel en demeura pourtant le desmenty ;
    Elle ne laissa pas, quittant Phlegre à main gauche,
    Comme mère des dieux d’estre de la débauche,
    Et de leur apporter, se traisnant au baston,
    Des champignons nouveaux, cuits au jus de mouton.
    Avecques de leurs sœurs, d’excellentes morilles,
    Et des truffes encor, ses véritables filles,
    Qu’un porc qu’on meine en lesse, éventant d’assez loin,
    Fouille pour nostre bouche et renverse du groin.
    Le seigneur des jardins, que les herbes reverent,
    Et Vertumne et Pomone ensemble s’y trouvèrent,
    D’asperges, de pois verds, de salades pourveus,
    Et des plus rares fruicts que jamais on eust veus.
    Bref, nul, en ce banquet, horsmis le vieux Saturne,
    Qui, flatté d’un espoir sanglant et taciturne,
    Du complot de Typhon avoit esté l’autheur ;
    Nul, dis-je, horsmis Mars, le grand gladiateur ;
    Nul, horsmis le Thebain qui charge son espaule
    D’un arbre tout entier en guise d’une gaule ;
    Nul, horsmis la pucelle aux doigts laborieux,
    Qui de ceux d’Arachné furent victorieux ;
    Et nul, horsmis Mercure, en cette illustre bande,
    Ne vint sans apporter, par manière d’offrande,
    De quoy faire ripaille, ainsi que l’avoit dit
    Celuy qui sur l’Olympe a le plus de crédit.
    Encore, entre ceux-là, l’histoire représente
    Que, si de rien fournir Minerve fut exente,
    C’est pour l’amour du soin qu’elle voulut avoir
    De mettre le couvert, où la belle fit voir
    Mainte œuvre de sa main superbement tissue ;
    Que quand au bon Hercule avecque sa massue,
    C’est qu’il estait alors, pour garder ses amis,
    En qualité de suisse à la porte commis ;
    Que, quant au furibond, au traisneur de rapiere.
    Au soudart thracien, qui d’une ame guerriere
    Employe à s’habiller enclumes et marteaux,
    C’est qu’il eut le soucy d’aiguiser les cousteaux ;
    Et que, pour le causeur à la mine subtile,
    De qui la vigilence aux festins est utile,
    Et qui n’entreprend rien dont il ne vienne à bout,
    C’est qu’il s’estoit chargé de donner ordre à tout.
    Or, pour venir au poinct que je vous veux déduire.
    Où je prie aux bons Dieux qu’ils me veuillent conduire,
    Vous sçaurez, compagnons, que parmy tant de mets,
    Qui furent les meilleurs qu’on mangera jamais,
    Et parmy tant de fruicts, dont en cette assemblée,
    Au grand plaisir des sens la table fut comblée,
    Il ne se trouva rien à l’égal d’un melon
    Que Thalie apporta pour son maistre Apollon.
    Que ne fut-il point dit en célébrant sa gloire !
    Et que ne diroit-on encore à sa mémoire ?
    Le Temps, qui frippe tout, ce gourmand immortel,
    Jure n’avoir rien veu ny rien mangé de tel !
    Et ce grand repreneur, qui d’une aigre censure
    Vouloit que par un trou l’on nous vist la fressure,
    Mome le mesdisant, fut contraint d’avouer
    Que sans nulle hyperbole on le pouvoit louer.
    Dés qu’il fut sur la nape, un aigu cry de joye
    Donna son corps de vent aux oreilles en proye ;
    Le cœur en tressaillit, et les plus friands nez
    D’une si douce odeur furent tous estonnez ;
    Mais quand ce vint au goust, ce fut bien autre chose :
    Aussi d’en discourir la muse mesme n’ose ;
    Elle dit seulement qu’en ce divin banquet
    Il fit cesser pour l’heure aux femmes le caquet.
    Phœbus, qui le tenoit, sentant sa fantaisie
    D’un désir curieux en cet instant saisie,
    En coupe la moitié, la creuse proprement ;
    Bref, pour finir le conte, en fait un instrument
    Dont la forme destruit et renverse la fable
    De ce qu’on a chanté, que jadis sur le sable
    Mercure, trouvant mort un certain limaçon,
    Qui vit par fois en beste et par fois en poisson,
    Soudain en ramassa la cocque harmonieuse,
    Avec quoy, d’une main aux arts ingenieuse
    Aussi bien qu’aux larcins, tout à l’heure qu’il l’eut,
    Au bord d’une riviere il fit le premier lut.
    Ainsi, de cette escorce en beauté sans pareille
    Fut fabriqué là-haut ce charmeur de l’oreille,
    D’où sortit lors un son, par accens mesuré,
    Plus doux que le manger qu’on en avoit tiré.
    Là maintes cordes d’arc, en grosseur differantes,
    Sous les doigts d’Apollon chanterent des courantes ;
    Là mille traits hardis, entremelez d’esclats,
    Firent caprioller les pintes et les plats ;
    Le plus grave des Dieux en dansa de la teste,
    Et le plus beau de tous, pour accomplir la feste,
    Joignant à ses accords son admirable voit,
    Desconfit les Titans une seconde fois.
    Voilà, chers auditeurs, l’effet de ma promesse ;
    Voilà ce qu’au jardin arrousé du Permesse,
    Terpsicore au bon bec, pour qui j’ay de l’amour,
    En voyant des melons me prosna l’autre jour.
    J’ay treuvé qu’à propos je pouvois vous l’apprendre,
    Pour descharger ma ratte et pour vous faire entendre
    Que je croy que ce fruit, qui possède nos yeux,
    Provient de celuy-là que brifferent les dieux :
    Car le roy d’Helicon, le demon de ma veine,
    Dans le coin d’un mouchoir en garda de la graine,
    Afin que tous les ans il en pust replanter,
    Et d’un soin libéral nous en faire gouster.
    Ô manger précieux ! délices de la bouche !
    Ô doux reptile herbu, rampant sur une couche !
    Ô ! beaucoup mieux que l’or, chef-d’œuvre d’Apollon !
    Ô fleur de tous les fruits ! Ô ravissant melon !
    Les hommes de la cour seront gens de parolle,
    Les bordels de Rouen seront francs de verolle.
    Sans vermine et sans galle on verra les pedents,
    Les preneurs de petun auront de belles dents.
    Les femmes des badauts ne seront plus cocquettes,
    Les corps pleins de santé se plairont aux clicquettes,
    Les amoureux transis ne seront plus jalous,
    Les paisibles bourgeois hanteront les filous,
    Les meilleurs cabarets deviendront soliteres,
    Les chantres du Pont-Neuf diront de hauts mystères,
    Les pauvres Quinze-Vingts vaudront trois cens argus,
    Les esprits doux du temps paroistront fort aigus,
    Maillet fera des vers aussi bien que Malherbe,
    Je hayeray Faret, qui se rendra superbe,
    Pour amasser des biens avare je seray,
    Pour devenir plus grand mon cœur j’abesseray,
    Bref, ô melon succrin, pour t’accabler de gloire,
    Des faveurs de Margot je perdray la mémoire
    Avant que je t’oublie et que ton goust charmant
    Soit biffé des cahiers du bon gros Saint-Amant.




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