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    Marie d’Agoult

    Sérénité

    De ma sérénité tu voudrais le secret,
    M’as-tu dit ; et savoir comment à mon visage
    Jamais amour ou haine, espérance ou regret,
    Ne jette une rougeur qui trahisse au passage
    Les orages de l’âme et le bouillonnement
    D’un sang fier qui s’indigne ou s’exalte ; et comment
    Du repos de mon front, de ma calme présence,
    De mon port, de mes yeux que l’on croirait sans pleurs,
    De ma lente parole, ou bien de mon silence,
    S’exhale une vertu qui charme les douleurs.
    Et de ma sagesse
    Ta folle jeunesse
    Vantant le bienfait
    Envie à mon âge
    De longs jours d’orage
    Le tardif effet.
    « Ô ma chérie,
    La secrète loi
    D’une âme guérie ;
    Enseignez-la moi. »
    C’est là ta prière
    À mes cheveux blancs,
    C’est le vœu sincère
    De tes dix-huit ans.
    Tu crains la tourmente,
    Et, de ton destin,
    Fille, sœur, amante,
    Déjà t’épouvante
    L’aube frémissante,
    L’orageux matin.
    Ton âme qu’agite
    Le souffle des dieux,
    Ton sein qui palpite,
    L’éclair de tes yeux,
    Et l’accord qui tremble
    Sous tes doigts émus,
    Et ta voix qui semble
    De mots inconnus
    Chercher le mystère,
    Ô mon cher trésor !
    Tout dit à ta mère
    Que, dans son essor,
    Déjà ton génie
    Au mal s’est heurté,
    Et que l’ironie,
    L’amère ironie
    Navre ta fierté.
    Et je voudrais donner à ton âme inquiète
    Un conseil, un exemple ; et, m’offrant pour appui,
    Répandre dans ton sein cette vertu secrète
    Par qui lui soit rendu le repos qui l’a fui.
    Mais, en sondant, hélas ! et mon cœur et ma vie,
    Je vois trop à quel prix le trouble m’est ôté,
    Et d’où me vient la paix que ta jeunesse envie !…
    Que Dieu te garde, enfant, de ma sérénité !




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