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    Ponce-Denis Écouchard-Lebrun

    À M. de Buffon, sur ses détracteurs

    BUFFON, laisse gronder l’Envie ;
    C’est l’hommage de sa terreur :
    Que peut sur l’éclat de ta vie
    Son obscure et lâche fureur ?
    Olympe, qu’assiège un orage,
    Dédaigne l’impuissante rage
    Des Aquilons tumultueux ;
    Tandis que la noire Tempête
    Gronde à ses pieds, sa noble tête
    Garde un calme majestueux.

    Pensais-tu donc que le Génie
    Qui te place au trône des arts,
    Long-temp d'une Gloire impunie
    Blesserait de jaloux regards ?
    Non, non, tu dois payer la Gloire ;
    Tu dois expier ta mémoire
    Par les orages de tes jours ;
    Mais ce torrent, qui dans ton onde
    Vomit sa fange vagabonde,
    N'en saurait altérer le cours.

    Poursuis ta brillante carrière,
    O dernier Astre des Français !
    Ressemble au Dieu de la lumière,
    Qui se venge par des bienfaits.
    Poursuis ! que tes nouveaux ouvrages
    Remportent de nouveaux outrages
    Et des lauriers plus glorieux :
    La Gloire est le prix des Alcides !
    Et le Dragon des Hespérides
    Gardait un or moins précieux.

    C’est pour un or vain et stérile
    Que l’intrépide fils d’Eson
    Entraîne la Grèce docile
    Aux bords fameux par la Toison.
    Il emprunte aux forêts d’Epire
    Cet inconcevable navire
    Qui parlait aux flots étonnés ;
    Et déjà sa valeur rapide.
    Des champs affreux de la Colchide
    Voit tous les monstres déchaînés.

    Il faut qu’à son joug l’enchaîne
    Les brûlans taureaux de Vulcain :
    De Mars qu’il sillonne la plaine
    Tremblante sous leurs pieds d’airain.
    D’un Serpent, l’effroi de la terre,
    Les dents, fertiles pour la guerre,
    A peine y germent sous ses pas,
    Qu’une Moisson vivante, armée
    Contre la main qui l’a semée,
    L’attaque, et jure son trépas.

    S’il triomphe, un nouvel obstacle
    Lui défend l’objet de ses vœux :
    Il faut par un dernier miracle
    Conquérir cet or dangereux :
    Il faut vaincre un Dragon farouche,
    Braver les poisons de sa bouche,
    Tromper le feu de ses regards ;
    Jason vole ; rien ne l’arrête.
    Buffon ! pour ta noble conquête
    Tenterais-tu moins de hasards ?

    Mais si tu crains la tyrannie
    D’un monstre jaloux et pervers,
    Quitte le sceptre du Génie,
    Cesse d’éclairer l’Univers,
    Descends des hauteurs de ton ame,
    Abaisse tes ailes de flamme,
    Brise tes sublimes pinceaux,
    Prends tes envieux pour modèles,
    Et de leurs vernis infidèles
    Obscurcis tes brillans tableaux.

    Flatté de plaire aux goûts volages,
    L’Esprit est le dieu des instans,
    Le Génie est le dieu des âges,
    Lui seul embrasse tous les temps.
    Qu’il brûle d’un noble délire
    Quand la Gloire autour de sa lyre
    Lui peint les Siècles assemblés,
    Et leur suffrage vénérable
    Fondant son trône inaltérable
    Sur les empires écroulés !

    Eût-il, sans ce tableau magique
    Dont son noble cœur est flatté,
    Rompu le charme léthargique
    De l’indolente Volupté ?
    Eût-il dédaigné les richesses ?
    Eût-il rejeté les caresses
    Des Circés aux brillans appas,
    Et par une étude incertaine
    Acheté l’estime lointaine
    Des peuples qu’il ne verra pas ?

    Ainsi l’active Chrysalide,
    Fuyant le jour et le plaisir,
    Va filer son trésor liquide
    Dans un mystérieux loisir.
    La Nymphe s’enferme avec joie
    Dans ce tombeau d’or et de soie
    Qui la voile aux profanes yeux,
    Certaine que ses nobles veilles
    Enrichiront de leurs merveilles
    Les Rois, les Belles et les Dieux.

    Ceux dont le Présent est l’idole
    Ne laissent point de souvenir :
    Dans un succès vain et frivole
    Ils ont usé leur avenir.
    Amans des roses passagères,
    Ils ont les graces mensongères
    Et le sort des rapides fleurs.
    Leur plus long règne est d’une aurore ;
    Mais le Temps rajeunit encore
    L’antique laurier des neuf Sœurs.

    Jusques à quand de vils Procrustes
    Viendront-ils au sacré vallon,
    Bravant les droits les plus augustes
    Mutiler les fils d’Apollon ?
    Le croirez-vous, Races futures ?
    J’ai vu Zoïle aux mains impures,
    Zoïle outrager Montesquieu !
    Mais quand la Parque inexorable
    Frappa cet Homme irréparable,
    Nos regrets en firent un Dieu.

    Quoi ! tour à tour dieux et victimes,
    Le sort fait marcher les talens
    Entre l’olympe et les abîmes,
    Entre la satire et l’encens !
    Malheur au mortel qu’on renomme.
    Vivant, nous blessons le Grand-Homme ;
    Mort, nous tombons à ses genoux ;
    On n’aime que la Gloire absente ;
    La mémoire est reconnaissante ;
    Les yeux sont ingrats et jaloux.

    Buffon, dès que rompant ses voiles,
    Et fugitive du cercueil,
    De ces palais peuplés d’étoiles
    Ton Ame aura franchi le seuil,
    Du sein brillant de l’empyrée
    Tu verras la France éplorée
    T’offrir des honneurs immortels,
    Et le Temps, vengeur légitime,
    De l’Envie expier le crime,
    Et l’enchaîner à tes autels.

    Moi, sur cette rive déserte
    Et de talens et de vertus,
    Je dirai, soupirant ma perte :
    Illustre Ami, tu ne vis plus !
    La Naturel est veuve et muette !
    Elle te pleure ! et son Poète
    N’a plus d’elle que des regrets.
    Cette Lyre qui t’a su plaire,
    Je la suspends à tes cyprès !




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